Quand les scientifiques ont la tête dans le cul.

Les découvertes scientifiques sont basées sur des théories qui sont censées être confirmées dans la mesure du possible par des expériences. Dans la réalité, les différentes découvertes et avancées sont marquées par des publications dans des journaux scientifiques. Mais tout le monde ne peut pas publier n’importe quoi, les journaux voulant s’assurer de la validité de ce qu’ils publient (ils mettent leur réputation en jeu, et donc leur survie) : les articles passent donc par un procédé d’évaluation par les pairs. En pratique, l’éditeur du journal envoie l’article reçu à un ou plusieurs spécialistes du domaine, qui le reliront avec attention pour s’assurer de la validité des thèses et protocoles avancés. Le procédé n’est pas exempt de tout reproche : les relecteurs peuvent parfois faire preuve de conservatisme, ce qui peut empêcher l’émergence d’approche trop novatrices, voire même parfois de mauvaise foi (ralentir la publication d’un concurrent pour publier des découvertes proches avant lui). Et oui, les relecteurs, tout scientifiques qu’ils soient, sont aussi des êtres humains. Et entre autres petits travers, ils ont celui d’être faillibles.

On a pu voir cette faillibilité à l’œuvre au cours d’affaires retentissantes, comme celles des Bogdanoff, de la mémoire de l’eau (voir le très bon récapitulatif sur le blog d’un collègue du c@fé des sciences) ou encore des liens entre vaccin et autismes dues à l’égérie des anti-vaccination, le Dr Wakefield (voir la première partie, et la seconde). Et certains se sont amusés à jouer de ce petit défaut.

L’affaire la plus connue est sans aucun doute l’affaire Sokal qui visait dans un premier temps à démontrer l’importance de l’évaluation par les pairs. Celui-ci a donc soumis à la revue Social Text un article nommé « Transgresser les frontières : vers une herméneutique transformative de la gravitation quantique« . Le texte en lui-même est bourré de langage cryptique et pseudo-scientifique, qui peut certes impressionner mais ne veut pas dire grand chose au final. L’article prétend montrer que la gravité quantique a des implications sociales profondes, en se basant sur des analogies capillotractées (notamment entre féministes et mathématiciens), implications choisies pour aller dans le sens de l’idéologie générale du journal. On peut déceler aussi des erreurs volontaires de citations, montrant un autre travers (rare sont ceux qui vont vérifier les sources). Au final, l’idée générale de la blague (qui a marché : l’article a été publié) était de montrer que certains éditeurs étaient prêts à tout accepter, du moment que cela sert leur agenda politique.

Et si il y a un domaine dans lequel cette attitude est toujours valable, c’est celui des pseudos-sciences, et dans le cas qui nous intéresse, la médecine non conventionnelle. C’est dans le British Medical Journal que l’on apprend la blague faite par un professeur de l’université de Durham. Il a ainsi proposé de donner une conférence lors de la Jerusalem International Conference on Integrative Medicine en se présentant comme un scientifique ayant publié dans Nature et PNAS et ayant remporté des prix pour ses livres. Il prétendait avoir conçu une nouvelle forme de réflexologie basée sur un homoncule sensitif encore inconnu, situé sur les fesses (inversé, comme si l’on se tenait la tête en bas, selon lui). Il précise bien dans le résumé de sa conférence, acceptée par le comité scientifique de la conférence, qu’il ne présentera que des témoignages anonymes et des résultats positifs, mais que sa découverte ne peut être testée en double aveugle pour des « raisons évidentes » . Et bien entendu, « ce nouveau paradigme se heurtera sans doute à des esprits fermés et un rejet automatique ».

Il n’est pas question pour autant de jeter l’évaluation par les pairs aux oubliettes (au contraire, l’affaire Sokal en montre le besoin), mais il faut bien garder à l’esprit qu’au final, il existe toujours des failles et que même face à un article validé par une communauté, mieux vaut garder son esprit critique.

3 Responses to Quand les scientifiques ont la tête dans le cul.

  1. DavidL says:

    A propos de l’affaire des Bogdanoff, je faisais ma thèse sur la « gravité quantique » dans un institut de physique théorique à l’époque où ça a éclaté. J’ai donc eu le plaisir de vivre l’affaire « de l’intérieur ».

    Un point qui a été oublié est que pendant quelques jours, les physiciens théoriciens ont d’abord cru à un canular « à la Sokal ». En gros l’idée qui tournait dans la communauté était que des journalistes scientifiques français avaient réussi à publier intentionnellement des papiers pipos pour montrer que la physique théorique contemporaine ne valait pas mieux que ce que Sokal dénonçait. Et là ce fut littéralement la PANIQUE.

    Quelques jours plus tard, les Bogdanoff ont démenti avoir voulu faire un canular à la Sokal et ont insisté que si si ils étaient sérieux et c’étaient des vrais papiers. Et là toute proportion gardée, ce fut un quand même un soulagement parmi les physiciens théoriciens : c’était tout de même moins pire d’avoir laisser passer ça et d’être un peu discrédité, que de s’être fait piéger intentionnellement par des « journalistes scientifiques » voulant démontrer l’absurdité de la recherche contemporaine en physique théorique.

  2. Gull says:

    Toujours aussi bien comme blog ! Continue !
    🙂

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