Les méchants païens font des sacrifices humains.

Il existait pour les cimetières carthaginois deux types d’emplacement: soit au centre de la communauté, là où étaient enterrés les jeunes adultes, soit, dans le cas des Tophet, à la périphérie, où l’on trouve dans des urnes les restes de jeunes enfants et d’animaux, parfois mélangés.

Plusieurs interprétations ont été fournies, mais celle qui a le vent en poupe est bien entendu la plus spectaculaire: celle du sacrifice systématique de jeunes enfants en l’honneur de Baal ou de Tanit, des divinités locales que l’on imagine assez vite comme fort peu sympathiques. Si j’ai personnellement des souvenirs d’enfance tirés de la bande dessinée Alix, l’exemple le plus connu reste le Salammbô de Flaubert. On retrove des évocations de ces sacrifices dès le troisième siècle avant le barbu, sous la plume de Clitarque.

Moquez vous, mais avec ""Il" est revenu", ça reste un des mes grands traumas de l'enfance.

Toutefois la légende, si noire soit elle, ne tient pas devant l’analyse scientifique. L’équipe de Jeffrey Schwarz du département d’anthropologie de l’Université de Pittsburgh vient de publier  la première analyse des restes humains trouvés dans ces fameux tophets dans la revue PLoS One. Leur explication est beaucoup plus rationnelle: les enfants carthaginois étaient incinérés et enterrés dans des urnes, peu importe la façon dont ils étaient morts.

En effet, l’analyse des restes trouvés dans 348 urnes funéraires montre que la majorité des enfants, après mesure de différentes parties de leur anatomie, étaient en grande majorité âgés de moins d’un an. Un cinquième d’entre eux provenaient de décès avant même la naissance. Une mortalité infantile qui n’est pas étonnante au regard de l’époque concernée.

De plus, à y regarder de près, aucune urne ne contient assez d’os pour indiquer la présence de deux individus. Il y a certes des os surnuméraires (comme eut pu le dire ce cher Bossuet), provenant sans doute d’erreurs au moment de la crémation,  mais pas assez pour indiquer un sacrifice en masse, où les os auraient été mélangés de façon bien plus importante. Enfin, la présence de nombreuses filles dans les urnes vient tordre le coup à la légende du sacrifice systématiques des garçons premiers nés (n’est pas Abraham qui veut). Cette étude ne réfute bien entendu pas la possibilité de sacrifices humains, ou de sacrifices d’enfants, anecdotiques (au sens contraire de systématique).

D’après les chercheurs, cette légende provient essentiellement de la lecture des chroniqueurs romains, du Nouveau Testament (écrit potentiellement dans une région fortement dominée par les romains) et à l’interprétation hasardeuse d’inscriptions carthaginoises un peu ambiguës. Quand on connait l’histoire d’amour entre la civilisation romaine et la civilisation carthaginoise, pas étonnant que l’histoire écrite par les vainqueurs ne fasse pas vraiment l’éloge des vaincus.