Jefferson, pas assez bon pour le Texas.

Tout le monde a entendu parler des controverses américaines à propos de l’éducation, notamment du combat entre créationnistes et scientifiques. Pour rappeler les faits, de nombreux groupes conservateurs ont tenté de nombreuses approches pour que le créationnisme, ou son alter-ego pseudo-scientifique le dessein intelligent, soit enseigné dans les cours de science, comme une hypothèse alternative crédible à celle de l’évolution. Cette poussée a pris de nombreuse formes, depuis la demande (parfois couronnée de succès) de passer autant de temps sur les deux hypothèses, jusqu’au plus subtil « teach the controversy » (« enseignez la controverse »), injonction faite aux professeurs de science afin qu’ils abordent les défauts de la théorie de l’évolution, réels ou supposés. Un tournant décisif dans cette affaire surviendra, le « procès de Dover« , PA, aboutissant à l’interdiction de l’enseignement du dessein intelligent en cours de science, l’assimilant au religieux. On notera sur un ton plus léger que ces débats ont engendré l’émergence d’une nouvelle « religion », le pastafarisme, dont le leader demande à voir sa doctrine (le monde a été créé par un monstre volant de spaghetti) reconnue au même titre que le dessein intelligent.

Dans cette lutte, un état clé pour les plus obscurantistes est le Texas, pour deux raisons. Tout d’abord, l’état est très conservateur, et la droite religieuse y est fortement représentée, ce qui leur donne accès à de nombreux postes de décisions, et un poids important dans la Texas Education Agency. Cela a donné des membres aussi éminent que Don McLeroy, ancien président, qui déclarait au sujet des l’évolution « quelqu’un doit s’élever contre les experts ». Deuxièmement, parce qu’il s’agit du second client de manuels scolaires aux USA: les éditeurs ont alors naturellement intérêt à s’adapter aux standards de cet état pour leur production nationale, ce qui fait que les décisions prises au Texas déborderont dans les classes d’autres états.

Délaissant cette fois-ci le terrain scientifique, les conservateurs ont semble-t-il gagné une nouvelle bataille, cette fois sur dans le domaine historique. Certes, pour eux, il ne s’agit que de « rééquilibrer les choses », en raison d’un programme qu’ils trouvent trop « libéral » (au sens américain du terme). C’est ainsi que toutes les références aux Lumières (mouvement international, ne l’oublions pas, et non strictement français), et pire à Thomas Jefferson sont retirées. Les conservateurs ont donc évincé l’un des principaux pères fondateurs afin d’occulter ses idées, libertaires et proches de l’athéisme, sans oublier le fait qu’on lui doit en très grande partie la séparation de l’Eglise et de l’état en Amérique. La mention de la liberté de religion, de toutes les religions, a quant à elle été refusée.

On pourra noter également l’apparition au programme de Calvin, et surtout une étrange vision du Maccarthisme, présentant la chasse aux sorcières contre les communistes comme justifiée et injustement décriée. La révision a aussi entraîné l’ire d’une membre de la commission d’origine hispanique, Mary Hellen Berlanga, aucune personnalité hispanique n’étant mentionnée. Les Black Panthers font leur apparition, pour montrer que le mouvement des droits civiques ne doit pas être envisagé que sous l’aspect non-violent prôné par Martin Luther King Jr. Enfin, les programmes d’économie sont aussi touchés, afin de revaloriser la vision du capitalisme, trop négative d’après les conservateurs.

On peut voir la un bel exemple de gens qui se servent de leur pouvoir pour promouvoir une idéologie, sans aucune considération pour le bien commun. Certes, il s’agit des USA, mais la chose est possible en France si nous ne sommes pas vigilants: on se souvient de nombreuses tentatives de récupération politique des programmes scolaires, de la lettre de Guy Môquet à la polémique sur les bienfaits de la colonisation (pour ne pas remonter aux livres scolaires d’Alsace-Lorraine envahie). La vigilance reste de mise.